Le Synode, un lieu extraordinaire d'écoute et de rencontre du Seigneur présent au milieu de nous
Entretien réalisé par Marie Duhamel – Cité du Vatican
Fin de la première session du Synode sur la Synodalité, pour l’avenir de l’Église au Vatican. Ce dimanche, le Pape a présidé en la basilique Saint-Pierre la messe de clôture de l’Assemblée synodale. «Le Seigneur nous aidera à être une Église plus synodale, plus missionnaire, qui soit au service des femmes et des hommes de notre temps», a affirmé François, qui l’a souligné, «aujourd’hui nous ne voyons pas les fruits complets du processus». Celui-ci est en cours. Les pères et mères du Synode sont appelés à revenir à Rome, l’an prochain, pour une seconde session de travail, afin d’apprendre à «marcher ensemble».
Le cardinal Lacroix, l’archevêque de Québec au Canada, est un des pères du Synode. Pendant près de quatre semaines, il a prié, mangé avec ses frères et sœurs, et bien sûr évoqué avec eux en salle Paul VI des thèmes variés, qui sont l’émanation de deux ans de travaux préparatoires (2021-2023) conduit au niveau local, régional et continental.
L’exercice synodal n’est en soit pas une nouveauté. Le Pape Paul VI a en effet institué le Synode des Évêques, le 15 septembre 1965, en réponse au désir exprimé par les Pères du Concile Vatican II. Depuis, de nombreuses assemblées synodales ont été convoquées ces dernières décennies. Le Pape François fut lui-même à l’initiative de plusieurs rencontres sur l’Amazonie, les jeunes ou la famille. Mais pour le cardinal Lacroix, les quatre semaines qui s’achèvent diffèrent des trois autres synodes qu’il a précédemment vécu. Il nous explique en quoi, et pourquoi il était selon lui opportun de se pencher sur la synodalité.
Je crois qu'avec le temps, nous avons découvert de nouvelles façons de faire. D'ailleurs, le Pape François, lui-même, au cours des deux derniers synodes sur la famille et sur les jeunes, avait commencé à laisser entrevoir que nous ne pouvions pas être ici uniquement pour partager nos bonnes idées. Il fallait discerner ensemble.
Le synode n'est pas un lieu parlementaire. Les gouvernements comptent les chefs d'opposition mais, nous, nous sommes des frères et soeurs qui cherchons ensemble ce que l'Esprit dit à notre Église aujourd'hui. Et quand je dis «nous», je parle du peuple de Dieu dans son ensemble. Le fait qu'on soit autant d'hommes et de femmes, évêques et non évêques, non seulement présents (en salle Paul VI), mais également dotés du droit de parole et du droit de vote, c'est une nouveauté de cette assemblée synodale.
Il s’agit d’une rencontre consultative. Nous ne sommes pas ici pour prendre des décisions, mais notre discernement fait - et nous le prenons très au sérieux- nous présenterons nos travaux au Saint-Père qui verra ce qui émane de l'Esprit.
Quant à la méthode, évidemment, la conversation dans l'Esprit n’est pas une nouvelle façon de faire, mais pour l'Église dans son ensemble, c'est une première. Et c'est très, très fructueux.
Le jeûne de la parole préconisé a été suivi de manière très nette. L'écoute a également été sans cesse mise en avant. Quels en ont été les fruits?
L'écoute permet de mieux connaître l’autre et de mieux le comprendre. Pourquoi dit-il cela? Que laisse entendre cette émotion, cette idée, ce thème qu'il présente. Pourquoi est-ce si important pour lui, pour elle? Nous avons cherché à comprendre davantage d'où vient cette personne, sa réalité, sa culture. L'écouter, nous a permis d'ouvrir nos horizons. Mais être écouté provoque le même résultat. Il s’agit de dire ce que l’on vit, proposer, tout en restant ouvert. J'ai peut-être une excellente idée de mon point de vue, mais lorsqu'on sera 12 autour de la table à en parler, il est possible que je sois déplacé dans ma façon de penser, pour voir plus grand, pour voir plus juste et ainsi je vais ajuster ma pensée. Cette liberté de parole sans être jugé, ni être hué, ni être rejeté est un cadeau énorme. La liberté de parole et la place de l'écoute représentent de grands cadeaux offerts par ce synode. Et si l’on parvient à vivre cela, non seulement ici mais également dans nos Églises locales, nous serons en mesure d'affronter tous les défis qui se présentent à nous, faciles ou difficiles, parce qu’on n’aura pas peur d’exprimer la vérité qu'on porte et de la soumettre au discernement de la communauté.
Je dois également souligner, outre l’écoute de l’autre, l’écoute du Seigneur. Jamais une telle place n’avait été faite au silence et à la prière. C'est mon quatrième synode et cette fois-ci, non seulement on a eu trois jours de retraite, mais chaque journée était ponctuée de moments importants de silence, de temps de prière. On a marché ensemble en procession aux flambeaux pour prier le chapelet, pour la paix.
Cette écoute du Seigneur et des autres constitue un pas énorme pour nous aider à avancer dans un discernement qui nous rassemble. Ensemble, nous avons cherché ce que Dieu nous dit et dit à notre Église, et nous pouvons faire confiance à ceux et celles qui auront à poursuivre le chemin, ils sauront être à l’écoute de l’expérience vécue.
Lors des points presse, vous avez tous évoqué la source de joie et d'enrichissement que représente le fait de rencontrer des frères et sœurs venant de réalités si différentes de la vôtre. Est-ce à dire que l'Église méconnaît son universalité?
Nous n’avons pas souvent l'occasion de nous rencontrer. Personnellement, comme nord-américain, au Canada, nous avons l’expérience de personnes venant du monde entier. L’accueil s’est d’ailleurs accru ces dernières années. Mais au Synode, nous avons passé un mois ou presque autour d'une même table. Nous venions des quatre continents – nous avons très peu changé d’équipe. Nous avons eu le temps de nous écouter et de nous connaitre davantage. C’était en outre plus facile que par le passé. Lorsqu'on était dans la salle du synode, nous étions en rang d’oignons, comme dans un jardin. On voyait les autres de dos, à l'écran, mais là on était autour d'une table, comme en famille, et on avait le temps. Ces temps prolongés ont vraiment aidé, tout comme les trois jours de retraite, où on vivait au même endroit, on mangeait ensemble, on priait ensemble, on a vécu des moments de partage, de silence aussi ensemble.
Certains, critiques, affirment que des tables rondes ne font pas venir l’Esprit Saint.
Et en effet, la table, n’y est pour rien. Ce sont nos cœurs ouverts à Sa parole, à Sa présence vivante en moi, en toi, en l'autre. Non, les tables pourraient être carrées, ça ne changerait rien. On pourrait être debout, ça ne changerait rien.
Mais tout passe par nous, baptisés, à l'écoute de la Parole du Seigneur, à l'écoute de ce qu’Il met dans nos cœurs. En écoutant l’autre, ce sont les paroles du Seigneur à travers lui qui me touchent et qui m'aident à corriger ce que je pense, à m'ajuster ou à confirmer ma pensée. Et parfois, ce n'est pas le cardinal qui a la plus grande parole. Parfois, c'est une personne moins en vue, mais qui arrive avec quelque chose qui est de l'Esprit que l’on entend. L'Esprit passe par qui il veut, et on en fait l'expérience.
Bien sûr, les récalcitrants peuvent parler des limites de la table, et j’en conviens, mais je peux confirmer, parce que c'est mon expérience, que ce synode a été pour moi un lieu extraordinaire d'expérience, d'écoute et de rencontre du Seigneur présent au milieu de nous. C'est impossible qu'on ait vécu toutes ces semaines dans cette fraternité, cette unité, cette joie au milieu de toutes les choses difficiles qu'on a affrontées. Cela est le signe que Dieu est à l'œuvre parce qu'humainement, on avait tout pour repartir avec moins de cheveux, moins de dents et des ecchymoses, mais cela n’a pas été le cas. Voilà un grand cadeau de Dieu et de son Esprit.
Vous avez affirmé avoir vous-même modifié votre jugement à l’écoute des autres. Auriez-vous un ou deux exemples à nous donner?
Oui, je vais vous en donner un. À la table où j'étais, se trouvaient quelques évêques du continent africain. Pour la première fois, j'ai saisi un peu plus en profondeur la problématique de la polygamie. Beaucoup de communautés chrétiennes, même, sont placées face à ce défi: comment faire avec ces couples, que peuvent faire leurs communautés. Je comprends un peu plus cette réalité et ça m'a amené à avoir un plus grand respect. C'est un sujet. Il y en a d’autres. D'écouter en profondeur ce que vivent les femmes dans certains milieux d'église. Cela aussi invite à une réflexion en profondeur, et permet de voir comment notre discours ou nos comportements ne sont pas toujours acceptables.
Travailler à la synodalité, est-ce une manière de dépasser la polarisation au sein de l’Église et d’œuvrer à son unité ? N’est-il pas sain néanmoins de faire coexister des divergences, sans chercher de compromis?
Oui, oui, absolument. On ne cherche pas un compromis, ni à s'entendre comme si on était des partis politiques pour réussir à faire une coalition. Ce n’est pas du tout ça. Nous sommes à la recherche de ce que Dieu nous dit à la lumière de Sa Parole, à la lumière de l'enseignement et de la tradition de l'Église, et de la réalité que nous vivons. Il ne s’agit pas de trouver un compromis mais le meilleur chemin. Nous discernons sur certaines choses et les soumettons à l'autorité de l'Église qui est le Saint-Père.
L’accueil des pauvres, l’insertion des migrants ou les efforts à déployer pour construire la paix sont des questions de tout temps prioritaires pour l’Église. D’autres questions se sont-elles imposées? On pense à la place des femmes mais aussi à l’autorité de l’évêque ou au pouvoir des prêtres.
En fait, nous n’avons pas inventé les thèmes abordés. C'est le fruit de deux ans de recherche, de consultations, d'échanges, de processus synodal dans nos communautés chrétiennes, nos diocèses, nos conférences épiscopales, en assemblée régionale et continentale. Nous avons été à l'écoute du peuple de Dieu et nous le représentons ici. Nous avons donc parlé de ce qui l’inquiète, des choses qui doivent manifestement être traitées, des sujets sur lesquels l'Église doit réfléchir où elle est appelée à approfondir davantage pour tenir un discours plus clair ou adopter des comportements plus en communion avec le Christ, notre Maître, avec l'Évangile et avec l'enseignement de l'Église. Tout au long du synode, nous avons retrouvé ces thèmes, mais nous n’en avons pas débattu. Nous les avons abordés de manière synodale, en parlant de nos expériences, en cherchant ensemble où l’on pouvait avancer. Nous avons jusqu'à l'an prochain pour travailler, mais certaines choses peuvent d’ores et déjà être mise en application: la méthode, par exemple, de la conversation dans l'Esprit. Nous, on s'en sert déjà dans notre diocèse et c'est en train de changer nos façons de faire. Déjà des choses changent. À la lecture du rapport de synthèse, je pense que les fidèles se sentiront écoutés. Ils diront: «Ah, on est finalement écoutés. Ah, ils ont parlé de ce qui nous préoccupe». J’en suis très heureux.
Lors des rencontres avec la presse, certaines questions comme celle de l’ordination des femmes ou l'accueil des LGBT ont été abordées. Comment est-ce que les pères et mères du synode se proposent de tenir la ligne de crête entre l'esprit du monde, l'opinion publique, les médias et le message intemporel de l'Église.
En ce sens-là, c'était très heureux que le Saint-Père nous invite à pratiquer en quelque sorte un jeûne de commentaires et d'entrevues sur tous ces sujets-là pour nous laisser une pleine liberté à l'intérieur de l'Assemblée synodale, afin qu’on ne se laisse pas mener ailleurs, manipuler ou distraire par ce qui circule dans le monde. Concernant ces sujets, nous avons écouté, nous, baptisés, membres du peuple de Dieu dans toutes les vocations possibles ici, et nous aurons à continuer de le faire. Mais moi, si je parle de ma propre expérience - et je suis sûr que bien d'autres pères et mères de ce synode pourraient dire la même chose- il y a déjà des attitudes qui changent dans ma façon de penser, des regards qui ont été déplacés. J'aurais une autre qualité de présence et d'accueil et d'écoute. Je vois que nous avons avancé déjà. Cela ne règle pas toutes les questions, mais le fait qu'on puisse avoir écouté en profondeur, vraiment, sans jugement, sans rejet, et mettre sur la table des choses qui sont difficiles à regarder nous dit qu'on est capable de le faire. Je badine un peu, mais, je répète, après trois semaines de partage tout le monde a encore toutes ses dents, il n'y a pas de bras de cassé. Parfois il y a des tensions, mais c'est normal. Nous on parle souvent de notre tension artérielle. Quand on en a plus, on est mort. Le sang, il faut que ça circule et ça va et ça vient. Et c'est comme ça ici aussi. On exprime des choses qui ne rassemblent pas tout le monde, mais on est capable de les énoncer. On n'a pas besoin de se cacher derrière des portes et de s’isoler pour porter nos questions. L'Église doit les porter ensemble. Le fait qu’on ait appris encore davantage à le faire est un grand signe d'espérance et je pense que c'est le grand cadeau. Plus que les thèmes qu'on a abordés, c'est la façon dont on est ensemble qui fait toute la différence.
Que va-t-il se passer là pendant l'année qui vient?
Il faut garder le souffle synodal. Un bon bout de chemin a été parcouru, et les gens verront en lisant la lettre que nous avons adressée au peuple de Dieu dans son ensemble. Elle est brève, donne un peu l'expérience et ce qu'on a vécu, et de là vers où on va. Il faudra travailler à partir du rapport final qui est un petit peu plus long, qui parle des différents sujets, des points de convergences, les choses à approfondir, de ce que l'on propose pour aller de l'avant. Il y a là amplement de travail pour 11 mois. Chacun aura à voir, si un thème ou un autre relève d’une certaine urgence dans sa région, pour pouvoir y travailler en particulier.
Il faudra également impliquer plus de gens, cela est ressorti à toutes les étapes de ce synode. Il y a encore des gens qui n'ont pas participé, goûté à la beauté de cette conversation dans l'Esprit pour apporter leur grain de sel, leurs idées, leurs expériences. Tout le monde a sa place dans notre Église et on doit trouver la façon de les inviter. La lettre au peuple de Dieu invite les ministres ordonnés comme les laïcs, les gens engagés en Église comme ceux qui ont pris des distances. Tout le monde peut participer et enrichir ce processus.
En outre, dans les mois qui vont venir, je suis sûr que l'équipe du Secrétariat du Synode des évêques avec son conseil ordinaire va réfléchir et voir quels outils nous pourrons proposer pour aider afin de préparer au mieux la prochaine étape.
Fin octobre 2024, des propositions seront cette fois votées, et adopté si elles obtiennent la majorité des deux tiers. Alors elles seront soumises au Pape, c'est lui qui aura finalement le pouvoir décisionnaire. Que peut-on dire du rapport entre synodalité et verticalité?
C'est une question très, très importante. Consulter le peuple de Dieu est absolument nécessaire. Il nous faut chercher ensemble, et cela n'enlève rien à l'autorité de l'Église, que ce soit des conférences des évêques ou encore du Saint-Père, qui après avoir écouté le peuple de Dieu, prendra une décision. Cela fonctionne d’ailleurs aussi de la sorte dans nos diocèses. Il est très important d'écouter nos collaborateurs, collaboratrices, d'entendre tout le monde pour avoir une idée plus juste. Cela aide l'évêque, comme cela aidera le Saint-Père, à confirmer ou à ajuster, à corriger ou infirmer ce que l'on propose. C'est sa responsabilité.
Dans l’exercice de la synodalité, on vote des propositions, et l’adoption de telle ou telle proposition à l'unanimité ou à plus de deux tiers, dit quelque chose à l'évêque, au Saint-Père et il verra ce qu'il va faire avec ça. C'est son rôle. Nous sommes un corps consultatif, alors nous devons le savoir et respecter ce fait. C'est une grande richesse. Mais nous avons confiance: le Saint-Père, l'autorité de l'Église, saura nous aider à aller plus loin. Moi, j'ai pleinement confiance.
Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici