Le Pape entouré du cardinal François-Xavier Bustillo et de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, lors de la messe à Ajaccio, plus grande ville de Corse en France, dimanche 15 décembre 2024. Le Pape entouré du cardinal François-Xavier Bustillo et de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, lors de la messe à Ajaccio, plus grande ville de Corse en France, dimanche 15 décembre 2024.  (AFP or licensor)

Foi et rayonnement, une année de grâces pour l'Église de France

Plus de 7 000 baptêmes d’adultes ont été célébrés à Pâques 2024. À Rome, la présidence de la Conférence des évêques de France a fait état de ce phénomène français du boom des catéchumènes. Lors de leur visite de trois jours, ils ont également raconté leurs liens renforcés avec d’autres Églises, notamment du continent africain. Retour avec Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la CEF, sur le récent voyage du Pape en Corse, et sur ses liens avec la France et sa laïcité.

Marie Duhamel – Cité du Vatican

«L'Église catholique en France est spirituelle et créative», une conviction que le Pape exprime à chacune de leur rencontre. Ce fut le cas ce mercredi 18 décembre encore, lorsqu’ils furent reçus par François avant l’audience générale. Les quatre membres de la présidence de la Conférence des évêques de France (CEF) étaient en visite à Rome pour rendre compte au Saint-Père et à différents dicastères «de ce qui se vit dans l'Église en France», précise un communiqué. Ils le font deux fois par an, après les Assemblées plénières de novembre et de mars.

Du 16 au 18 décembre, Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et président de la CEF, ainsi que les deux vice-présidents, Mgr Vincent Jordy, archevêque de Tours, et Mgr Dominique Blanchet, évêque de Créteil, ainsi que le père Hugues de Woillemont, secrétaire général et porte-parole de la CEF, ont échangé avec les responsables de six dicastères, de la Secrétairerie d’État, au dicastère pour les évêques, à celui de la Communication ou encore le Secrétariat général du Synode. L’ouverture à l’international et le lien avec d’autres réalités d’Église ont été soulignés. Les évêques ont soutenu en Terre Sainte la Maison d’Abraham qui fête ses 60 ans et les chrétiens d’Orient au Caire, grâce à l’Œuvre d’Orient. Ils ont également accueilli plusieurs responsables d’Églises.

Vers un Institut de missiologie en France 

Après s’être rendus à Kiev en 2022 à l’invitation de sa béatitude Stavoslav Shevshuk, le primat de l’Église gréco-catholique d’Ukraine a répondu à leur invitation. À Paris, il a rencontré des autorités politiques; à Lourdes, ses pairs dans la foi. Quatre évêques africains (Rwanda, RDC, Burkina, Mozambique) étaient également présents à la plénière de Lourdes. Tous ont en commun un projet d’Institut de missiologie et de pastorale pour former les prêtres africains appelés à se rendre en Europe. Ils ont exprimé leur «reconnaissance pour le don de l’Évangile» reçu de missionnaires français, et jugent maintenant «important que les enfants aident le grand-père quand il ne va pas bien», a expliqué Mgr de Moulins Beaufort. Pour les évêques de France, les liens préexistants sont à renforcer. «Il est important de prendre en compte les fidèles africains en France. Il faut connaitre et respecter leurs traditions». Soulignant que ces Églises sont centenaires, «quand ils viennent chez nous ce n’est pas pour voir comment on fait. Ils viennent en mission, avec leur richesse spirituelle propre». Enfin, les évêques français souhaitent comprendre la manière dont ils vivent les «transformations des liens entre la France et leurs pays».

 

Le phénomène des catéchumènes

L’autre sujet porté à l’attention de la Curie et sur lequel les membres de la présidence de la conférence épiscopale ont été interrogés, est le boom des catéchumènes ou des «recommençants». Dans le diocèse de Tours, les demandes de baptêmes d’adultes sont passées de 40 à 200 et de confirmation pour des baptisés qui s’étaient éloignés de l’Église de 45 à 150. Mgr Jordy voit parfois des jeunes arriver le dimanche à la messe sans comprendre la liturgie, les invitant à rester après la célébration pour prendre contact. Le phénomène se manifeste dans tous les diocèses de France «sans qu’on l’ait induit. Ce n’est pas le résultat d’une pastorale» dédiée, poursuit-il. Le phénomène semble être français. Une prochaine réunion avec les Églises du Benelux, d’Allemagne ou d’Autriche pourra le confirmer ou l’infirmer, expliquent les évêques. Il semble que ce soit le résultat d’une quête de sens dans un monde qui n’offre pas de certitude, mais aussi d’un besoin de communauté après la pandémie, alors que le virtuel reste fictif. «L’Église est accueillante, sans être payante ni contraignante», résume Mgr Jordy. On y réapprend la fraternité. «On essaie de ne pas offrir un sourire de façade», et de favoriser la rencontre avec Jésus.

Lors d’une rencontre avec les journalistes français de Rome s’intéressant aux questions religieuses, il fut également question du récent voyage du Pape en Corse. Mgr Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France, y a accueilli le Pape. Entretien.

Le Pape revient d'Ajaccio. Comment cette visite a-t-elle été reçue, selon vous, par les catholiques de France, en particulier le discours sur la «saine laïcité»?

J’ai participé à cette visite et je manque d'extériorité, mais les échos arrivés témoignent de beaucoup d'émotions et d'enthousiasme devant la beauté des images. La Corse est magnifique et, là, elle était selon son meilleur puisqu'il faisait très beau. Les images de la messe ont été très belles et très émouvantes pour tous ceux qui l'ont suivie. Tout le monde a été assez impressionné par la ferveur des Corses et leur joie de voir le Pape, leur fierté de le recevoir. C'était un encouragement pour tout le monde.

Concernant le discours du Pape sur la laïcité, la «saine laïcité» ou la laïcité qui n'est pas fermée à la religion. Le Pape n’est pas le seul à l’affirmer. En France, des penseurs l'ont dit; des hommes politiques français ont même été capables d'écrire sur ce sujet, en parlant de «laïcité positive» par exemple, ou de laïcité à l’écoute les religions. Dans la pratique aujourd'hui, les cultes sont d’ailleurs souvent consultés sur un certain nombre de sujets, et sont écoutés. Nous avons des rencontres avec les autorités de l'État. Je n'ai pas l'impression que le Pape ait dit des choses complètement différentes de ce que nous vivons. Personnellement, je reçois ce discours du Pape comme un encouragement à participer à la vie sociale, au débat social et aussi à ce qui peut contribuer à une unité sociale plus forte et plus riche, en lien avec tous les Français de quelque religion ou non-religion qu'ils soient.

Y a-t-il un besoin ou une demande de laïcité «plus souple»?

Personnellement, je trouve que nous sommes habitués à vivre dans le cadre de la laïcité française, alors, elle a été faite en quelque sorte contre, mais aussi pour l'Église catholique, en tenant compte des protestants et des juifs. Comme chacun sait, elle a du mal à s'ouvrir à la présence des musulmans. Et nos concitoyens musulmans ont aussi à apprendre à vivre dans ce cadre-là. C'est là qu'il y a quelquefois des tensions, parfois assez difficiles à vivre et assez douloureuses pour nos concitoyens musulmans. Il faut que notre laïcité soit hospitalière à cette réalité des musulmans, mais il faut aussi que les musulmans acceptent de vivre dans un monde qui n'est pas musulman, dans une société qui n'est pas musulmane et qui est une société laïque, c'est-à-dire plurielle et dans laquelle la liberté de religion, la liberté de changer de religion, la liberté de ne pas avoir de religion, sont présentes.

Quand je suis allé le 9 décembre avec les autres responsables du culte, dont l'imam de la Grande Mosquée, le Grand Rabbin de France, le président de la Fédération de l'Union bouddhiste et le président de la Fédération protestante de France au Raincy (Seine-Saint-Denis), pour rencontrer des jeunes collégiens, tous ensemble, nous avons insisté sur cette liberté aussi de changer de religion ou ne pas avoir de religion. Pour nous, catholiques, il est nécessaire que la religion soit un fait de liberté et pas seulement une espèce d'appartenance fatale.

Peut-on vivre sa foi dans l'espace public en France, sans que cela ne soit problématique?

Je crois qu'on peut en France vivre sa foi dans l'espace public. On peut même processionner, du moment qu'on a prévenu la préfecture et qu'on organise les choses de telle manière que l’on respecte l'ordre public. En France, on vit très tranquillement. En fait, ce qui est très protégé est la neutralité de l'école. C'est sans doute là que se posent le plus de questions. Parce que l'école publique en France est un lieu très préservé de toute influence extérieure et ceci nécessite des ajustements constants.

La réouverture de Notre-Dame de Paris le 7 décembre et le Pape à Ajaccio le 15 décembre représentent deux semaines de rayonnement pour l'Église en France et pour l'Église de France dans le monde. Qu'en espérez-vous?

Je reçois cela comme une grâce et comme un don. C'est formidable. Nous sommes avant tout heureux. Je ne fais pas de stratégies sur ce que je peux en espérer. L'Église doit être à la hauteur de ce qu'elle a pu montrer ou de ce qui a pu être montré à travers la beauté et la transfiguration de Notre-Dame, de même qu'à travers la joie et la ferveur de la Corse. Nous avons vérifié que nous, catholiques, nous pouvons offrir à beaucoup des moments de communion simple, joyeuse, sans débordement, sans violence. Cela devrait être l'ordinaire de notre vie ecclésiale. Nous travaillons pour qu'il en soit ainsi.

Le Pape ne cesse de faire allusion à des intellectuels, penseurs, écrivains, ou encore à des saints français. Nous avons encore vu les reliques de sainte Thérèse exposées mercredi au Vatican. Quel message est par là adressé aux Français? Est-ce une manière de leur demander de prendre entière possession de leur héritage chrétien?

Chaque fois que nous avons vu le Pape, avec les vice-présidents et le secrétaire général (de la CEF) ces six dernières années, il a toujours fini en nous disant que l'Église en France est spirituelle et créative. Il ne cesse pas de le dire et l'on voit encore dans l'encyclique Dilexit Nos sur le culte du Sacré Cœur que le Pape cite énormément d'auteurs français, de spirituels français et propose à l'Église universelle un message qui, au point de départ, était adressé aux Français. Il faut que nous continuions à vivre cet héritage. Personnellement, je le reçois comme un encouragement à vivre de cet héritage reçu et à le développer. Il y a eu des saints en France, il y en a encore et il y en aura d'autres.

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19 décembre 2024, 22:25