École francophone des Pères Carmes Al Carmelia à Mejdlaya, dans l'Akkar, au Liban, le 23 avril 2024. École francophone des Pères Carmes Al Carmelia à Mejdlaya, dans l'Akkar, au Liban, le 23 avril 2024.  

Les écoles chrétiennes, pilier d’avenir de la francophonie en Orient

Le fonds pour les écoles francophones du Moyen-Orient a été établi par Emmanuel Macron il y a cinq ans. Résultant d’une bonne intelligence entre public et privé, il est cogéré entre l’ONG catholique L’Œuvre d’Orient et le ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères. À l’occasion du XIXe Sommet de la Francophonie les 4 et 5 octobre prochains, un bilan de ce pan de l’éducation au Moyen-Orient a été présenté par L’Œuvre d’Orient à Paris, le 1er octobre.

Delphine Allaire - Paris, France  

C’est le plus grand réseau francophone du monde en termes d’élèves, détrônant celui des lycées français de l’étranger. Les écoles chrétiennes du Moyen-Orient, fortes de leurs 400 000 élèves répartis de la Jordanie au Liban, en passant par la Moyenne-Égypte ou Israël, se sont installées durablement dans le paysage éducatif mondial. Depuis 2020, 200 écoles ont pu être aidées chaque année et le réseau compte désormais six universités.

Le fil francophone d'un Orient humaniste

Le développement du fonds est crucial au bon fonctionnement de ces écoles dans une région où la France s’est historiquement attachée à protéger les chrétiens. Certaines sont en projet en Irak. «Ces écoles forment des personnes qui feront le lien entre les deux rives de la Méditerranée. À cette heure, aucune d’entre elles n’a fermé pour d'autres raisons que la guerre, car elles se sont senties soutenues et aidées par un certain nombre de mesures économiques concrètes: électrification, baisse des charges», déclare le président du fonds pour les écoles d’Orient, Charles Personnaz. Cet enseignement privé au Liban est le seul encore en vie, le système public s’étant effondré faute de financements dans un pays sans gouvernement depuis 4 ans. L’enjeu pour ces écoles d’Orient est aussi de maintenir un environnement francophone dans des pays où il est moins évident qu’autrefois, concurrencé par l'anglais. Ces terreaux d'humanisme qui ont façonné nombre d'élites libanaises permettent aussi la persistance d’une confraternité entre jeunes chrétiens et musulmans, accueillis à la même enseigne dans ces athénées préservés. «Ces écoles sont peut-être le seul lieu où ils grandissent côte à côte, partagent un quotidien et des valeurs communes», avance l’historien à la tête de l’Institut national du patrimoine (INP).

 

Quand l'urgence prévaut

Le président du fonds pour les écoles d’Orient espère toutefois que la dramatique actualité des combats en cours au Liban ne viendra pas fragiliser un tissu éducatif vital à la formation des futures générations de la région. Le fonds a particulièrement aidé le pays, au cœur du système francophone d'enseignement.

«Dans une situation de crise multiforme, il s’agit de faire perdurer le socle de la nation libanaise formé par l’éducation et la santé, par-delà les vicissitudes et malgré les crises qui s’accumulent. Et pas seulement les établissements des grandes villes, mais toutes les écoles où qu’elles se trouvent, dans l’Akkar par exemple. Nous voulons à tout prix éviter l’effondrement des écoles comme d’autres institutions libanaises ont pu le subir», affirme Charles Personnaz, saluant l’effet «levier» que ce travail permet, attirant d’autres associations, partenaires et bailleurs internationaux.

L'extension au Liban du centre de gravité de la guerre doit résolument entraîner un renforcement de l’aide à ces écoles, abonde de son côté Mgr Pascal Gollnisch. Selon le directeur général de L’Œuvre d’Orient, dont sept collaborateurs français se trouvent encore au pays du Cèdre, le désir d’apprendre et d'entreprendre est prépondérant chez les jeunes Libanais. «Encore faut-il leur en donner les moyens», argue-t-il, dénonçant la paralysie gouvernementale mettant à mal l’équilibre confessionnel libanais autant que les réformes nécessaires. L’Œuvre d’Orient a, pour sa part, inauguré en 2021 au Liban des Hope center –centres d’espérance-, déjà préexistants en Syrie. Afin de lutter contre l’extrême pauvreté, ils permettent entre autres à des femmes et à des jeunes, d’être acteurs de leur avenir économique grâce à un accompagnement entrepreneurial.

La solution politique, condition de survie sociale

L’ONG alloue dix millions d’euros, soit 35% de ses ressources au Liban, mais son directeur est inquiet face à la multiplication des crises et conflits dans d’autres régions du monde: Arménie, Haut-Karabagh, Éthiopie, Ukraine. «C'est sans doute le dernier moment où nous pouvons véritablement agir pour sauver le Liban», estime Mgr Gollnisch, assurant que L'Œuvre d'Orient ne pourra pas continuer indéfiniment s'il n'y a pas de structures d'État permettant à l'aide internationale d'intervenir au Liban. «Les États-Unis et la France ont certainement des moyens pour exiger la désignation d'un président et d'un gouvernement. Il faut agir maintenant par des moyens de coercition économique, juridique, judiciaire et peut être même par l'envoi de casques bleus. La question mérite d'être posée», conclut-il.

À Rome, l’impasse libanaise est scrutée attentivement. En mars 2023, le Pape rappelait au Premier ministre par intérim reçu au Vatican, l’urgence d’élire un président. Plus récemment, Najib Mikati recevait la visite du cardinal Pietro Parolin à Beyrouth le 26 juin dernier. En marge de ce déplacement, le Secrétaire d’État du Saint-Siège avait publiquement regretté «l’absence pesante en ce moment grave» d’une importante voix chrétienne: celle du président de la République, maronite, selon un partage confessionnel du pouvoir désormais mis en péril. Au moment où 70% des 25-35 ans ont émigré en 2023 selon le cabinet de statistiques «Information International» cité par l’OLJ, c’est bien de cette solution politique que dépend l’avenir des écoles et d’une jeunesse levantine déjà partie quérir ailleurs un avenir meilleur.

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02 octobre 2024, 16:00