Mgr Caccia: Pacem in Terris, "une étoile polaire" sur le chemin de la paix
Alessandro Gisotti - Cité du Vatican
Soixante ans après sa publication, "Pacem in Terris" continue d'être une étoile polaire qui montre la voie à ceux qui, surtout dans le domaine de la diplomatie, s'engagent à promouvoir le dialogue entre les peuples et à construire la paix entre les nations. Mgr Gabriele Giordano Caccia, observateur permanent du Saint-Siège auprès des Nations unies à New York, en est convaincu. Dans une interview accordée à l'Osservatore Romano, Mgr Caccia a évoqué l'actualité de l'encyclique de saint Jean XXIII, réitérant le soutien du Vatican aux organisations internationales et au multilatéralisme, à une époque marquée par des guerres et des affrontements, jamais vécus depuis la crise cubaine.
Vous êtes au service du Saint-Siège depuis de nombreuses années. Dans quelle mesure "Pacem in Terris" a-t-elle influencé la vision et l'engagement de la diplomatie vaticane en faveur de la paix au cours des soixante dernières années, et sur quels points en particulier?
L'encyclique a été écrite après la première grande crise internationale avec un contenu nucléaire et un risque réel relatif de destruction planétaire, la crise dite des «missiles cubains», et elle a permis, pour utiliser une image météorologique, de regarder à nouveau le ciel débarrassé des nuages qui s'étaient accumulés, de redécouvrir l'étoile polaire, qui indique la direction du chemin, plutôt que les routes concrètes à parcourir. Le texte, comme le titre l'indique clairement, traite du thème de la paix et s'étend donc à l'ensemble des relations, tant au niveau interpersonnel avec les droits et les devoirs, que dans les rapports entre l'individu et l'autorité publique, et entre les États entre eux. En outre, l'encyclique se situe de manière significative dans le contexte plus large d'une saison particulièrement vivante pour la réflexion de l'Église sur ses relations avec le monde, celle du Concile Vatican II, qui venait de s'ouvrir. Nombreux sont donc les repères et les enjeux présents, qui seront ensuite repris dans des contextes plus larges et plus diversifiés. Mais je voudrais insister sur la question du désarmement.
Pouvez-vous vous attarder sur ce point clé de "Pacem in Terris"?
Il s'agit d'un avertissement clair pour dépasser la logique de construction de relations basées sur la peur de l'autre, et donc sur l'équilibre de la terreur, plutôt que sur la confiance mutuelle, avec toutefois la nécessité d'outils de vérification pour en assurer la sincérité. Nous pourrions dire, en simplifiant, qu'il y a comme une invitation à passer de la logique de la confrontation à celle de la rencontre, de l'opposition à la collaboration et de la rivalité à la fraternité, c'est-à-dire à promouvoir le «désarmement intégral». Dans ce contexte, le Saint-Père a ensuite mis en garde contre l'alarmante course aux armements, en particulier ceux qui sont de plus en plus meurtriers et qui peuvent frapper sans discrimination des populations entières tout en détruisant la vie même de la planète, avec un gaspillage «d'énergies spirituelles et de ressources économiques» qui devraient être mieux utilisées pour la promotion de la vie et de l'environnement. Cet appel, répété à maintes reprises par les Souverains pontifes successifs, reste malheureusement d'actualité dans un contexte où certaines mesures importantes prises dans le passé, pour la réduction des armes nucléaires risquent de ne pas trouver les moyens adéquats pour renouveler et faire fructifier ce qui reste un objectif clair exprimé en termes sans équivoque dans l'encyclique: «Les armes nucléaires doivent être interdites».
Dans son discours au Palais de verre -à l'occasion de la première visite historique d'un Pape aux Nations unies- Paul VI a mentionné "Pacem in Terris" qui «a également eu une résonance si honorable et si significative dans vos sphères». Dans quelle mesure l'encyclique de Jean XXIII est-elle prise en compte par les Nations Unies aujourd'hui?
Historiquement, "Pacem in Terris" est la première encyclique qui mentionne l'Organisation des Nations Unies, constituée le 26 juin 1945, à laquelle elle consacre l'intégralité du numéro 75, sous le titre "Signes des temps", en se référant également à la Déclaration universelle des droits de l'homme, approuvée le 10 décembre 1948 et dont cette année marque le 75e anniversaire. Le Palais de verre a fait l'objet d'une grande attention et d'une étude approfondie, avec des initiatives au plus haut niveau, précisément parce qu'il a marqué, avec les nuances et les clarifications nécessaires, une reconnaissance importante pour cette organisation, qui est nécessaire pour répondre, comme nous le dirions aujourd'hui, aux problèmes mondiaux (conflits, pandémies, changements climatiques...), avec des réponses mondiales, toujours à la recherche du bien commun universel dans le respect des droits de la personne. Il est intéressant de noter que l'encyclique a été suivie presque crescendo: en effet, l'année suivante, en 1964, le Saint-Siège est devenu observateur permanent de l'Organisation avec la nomination de Mgr Alberto Giovannetti, tandis que l'année suivante, le 4 octobre 1965, Paul VI a été le premier Souverain pontife à s'adresser à l'Assemblée générale du haut de la tribune. Pour répondre à la question, je dirais que peut-être peu de diplomates de la nouvelle génération connaissent le texte et le contexte de l'encyclique, bien que diverses initiatives soient en cours pour marquer son 60e anniversaire, mais l'esprit de ce document vit dans les activités quotidiennes de cette mission, qui s'en inspire, et dans le chemin que l'Église a pris et continue de prendre à la suite de son étoile, comme nous l'avons mentionné précédemment.
Dans "Pacem in Terris", le Pape Roncalli consacre un large espace aux Nations Unies et espère que l'ONU «dans ses structures et ses moyens, s'adaptera de plus en plus à l'immensité et à la noblesse de ses tâches». Comment le Saint-Siège peut-il aider l'ONU à réaliser ce souhait de Jean XXIII dans une phase historique où l'on parle de plus en plus d'une crise du multilatéralisme?
Je pense que la meilleure réponse à cette question est la dernière encyclique du Pape François, "Fratelli tutti", qui remet au centre une attitude fondamentale à redécouvrir et à faire sienne pour grandir dans un contexte de respect et d'ouverture qui sont les prémisses d'une véritable coopération entre les personnes, les peuples et les nations. Sur cette base, on peut chercher et trouver ensemble des voies de réforme efficaces, dont certaines sont déjà à l'œuvre même parmi les membres de l'organisation, comme la refonte et l'élargissement du Conseil de sécurité, la question du veto, le rôle plus incisif de l'Assemblée générale, la participation de la société civile, du monde de la culture et du secteur privé selon des modalités appropriées. Mais tout cela ne peut trouver une réalisation concrète que si nous marchons dans l'esprit approprié, l'esprit fondé sur les piliers qui sont le fondement de l'organisation elle-même, comme l'exprime bien le préambule de la Charte des Nations Unies, à savoir «préserver les générations futures du fléau de la guerre, réaffirmer la foi dans les droits fondamentaux de l'homme» et «promouvoir la coopération internationale; proclamer à nouveau sa foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l'égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites; créer les conditions propres à assurer la justice et le respect des obligations découlant des traités et autres sources du droit international; favoriser le progrès social et le relèvement des niveaux de vie dans une liberté plus grande». Pour donner un exemple concret de cette voie dans le domaine du désarmement nucléaire, outre le traité sur la non-prolifération (TNP), il y a eu le traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE) et, plus récemment, le Saint-Siège a été parmi les initiateurs et les signataires à ratifier le traité sur l'interdiction des armes nucléaires (TPNW), qui est entré en vigueur en janvier 2021.
Le Pape François a fait référence à Pacem in Terris, à de nombreuses reprises au cours de ces dix premières années de son pontificat et plus encore depuis le début de la guerre en Ukraine. Selon vous, comment un document comme l'encyclique de Jean XXIII, l'esprit de ce document, peut-il aider les dirigeants politiques de notre époque à rechercher les voies de la paix?
La référence la plus complète et la plus récente à l'encyclique faite par le Pape François se trouve dans son discours du 9 janvier 2023 au corps diplomatique accrédité auprès du Saint-Siège à l'occasion des vœux habituels du nouvel an. Ce texte articulé reprend et commente certaines dimensions de l'encyclique à la lumière de la situation actuelle et répond à cette même question en affirmant que «la paix est possible à la lumière de quatre biens fondamentaux: la vérité, la justice, la solidarité et la liberté. Ce sont les pierres angulaires qui régissent les relations entre les êtres humains individuels et entre les communautés politiques».
Il est très intéressant de voir comment le Saint-Père développe ces critères dans la situation d'aujourd'hui, avec des indications claires sur diverses questions de notre société. Parmi les passages de ce discours, je voudrais également souligner un texte sur la menace nucléaire, dont l'encyclique de Jean XXIII avait en quelque sorte pris son départ, dans lequel nous pouvons voir combien de progrès ont été réalisés entre-temps à cet égard, en exprimant une condamnation non seulement de «l'utilisation», mais même de la «possession» de telles armes. Le Pape François déclare en effet: «Je ne peux que répéter ici que la possession d'armes atomiques est immorale car -comme l'a fait remarquer Jean XXIII- s'il est difficile de se persuader qu'il existe des personnes capables d'assumer la responsabilité de la destruction et de la douleur qu'une guerre causerait, il n'est pas exclu qu'un événement imprévisible et incontrôlable puisse déclencher l'étincelle qui mettrait en branle l'appareil de guerre». Nous espérons et travaillons pour que ces mots trouvent de plus en plus d'espace dans la conscience de toute personne de «bonne volonté» et une application concrète dans les instruments et les décisions dont disposent les responsables des nations et de la communauté internationale.
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